mercredi 7 avril 2010
Christine Lavant, UN ART COMME LE MIEN N’EST QUE VIE MUTILÉE
Christine Lavant
UN ART COMME LE MIEN N’EST QUE VIE MUTILÉE
Anthologie de poèmes choisis, traduits et présentés par François Mathieu
Éditions Lignes
Présentation de l'éditeur
Christine Lavant : « Je n’attends rien du Pfauenschrei [« Cri du paon » – recueil de quatre-vingt-dix poèmes paru en 1962]. Que les derniers efforts acharnés ; je me fiche complètement de savoir s’il sortira avec ou sans fautes d’impression. Je ne lis jamais les critiques ; elles me sont tellement pénibles. Les bonnes presque plus que les mauvaises. D’une façon générale, écrire de la poésie m’est tellement pénible. C’est inouï […] je vivrais si j’étais en bonne santé et avais six enfants, et que je puisse travailler pour eux ! Un art comme le mien n’est que vie mutilée, un péché contre l’esprit, impardonnable. La vie est tellement sacrée, peut-être que les bien-portants ne le savent pas. Moi, je le sais tout à fait. C’est pour cela que je ne mettrai probablement jamais fin à mes jours. Il y a aussi des moments où je suis heureuse sans raison. […] » La femme qui écrit cette lettre le 27 mars 1962 est, avec Ingeborg Bachmann, la plus grande poétesse autrichienne du siècle dernier ; six prix ont récompensé son œuvre de son vivant.
L’originalité de cette poétesse – par quoi elle est justifiée de prétendre à la poésie universelle –, elle la tient d’une constante exploration de son univers extérieur immédiat passé au crible de son très profond univers intérieur : une espèce d’extirpation, puis de monstration d’une perception pratiquée par des sens exacerbés. Sur fond de douleur physique quotidienne, de révolte et de colère… contre un Dieu qui l’a faite ce qu’elle était, et une religion de mascarade. Mais aussi d’espoir et de petites joies. Sa langue est inépuisable, qu’elle nourrit de son paysage campagnard, de son vécu quotidien, invente et déroule comme elle tricote, infiniment, assise par terre dans des nuits de douloureuses insomnies, entre un tapis d’Orient et une fenêtre derrière laquelle passent une lune et des étoiles vivantes, sans cesse réimagées par une vision poético-païenne.
Née en 1915 à Sankt-Stefan dans la vallée de la Lavant, à mi-chemin entre Klagenfurt et Graz, à quelques kilomètres au nord de la frontière austro-slovène, morte en 1973, Christine Habernig, née Thonhauser, prend en 1948, lors de sa première publication, le pseudonyme de Lavant. Christine Lavant est une femme poète aux antipodes d’une certaine tradition du poète bien né et fortuné, fin lettré et voyageur, tel Rainer Maria Rilke. Neuvième enfant d’une famille de mineurs, frappée deux mois après sa naissance de scrofulose, puis de pneumonie, elle gardera toute sa vie les stigmates douloureux de sa petite enfance. Une cécité et une surdité partielles, des douleurs quasiment constantes, un état de dépression chronique l’accompagneront toute sa vie. En 1924, à l’issue d’une hospitalisation à Klagenfurt, l’enfant de neuf ans parcourt à pied les soixante kilomètres qui la séparent de chez elle. À quinze ans, le chemin de l’école étant devenu trop long pour elle, elle doit désormais gagner sa vie en faisant du tricot. En 1932, elle brûle son roman, qu’un éditeur de Graz avait accueilli favorablement, puis refusé. En 1933, à la suite d’une tentative de suicide, elle entre volontairement dans un hôpital psychiatrique pour tenter de comprendre son état. En 1945, une bibliothécaire qui ne sait plus quoi lui donner à lire lui confie les derniers vers de Rilke : ce sera pour elle une révélation. Restée plus de vingt ans sans écrire, elle reprend la plume. Impressionné, l’un de ses médecins transmet ses poèmes à un éditeur, marquant ainsi le début de sa reconnaissance. L’œuvre de Christine Lavant tient en neuf volumes – quatre de poésie et cinq de proses – publiés, en allemand, par les éditions Otto Müller de Salzbourg. En France, deux récits, traduits par François Mathieu ont déjà parus : Das Kind (L’Enfant), Lignes-Léo Scheer 2006 et La Mal-née, Lignes, 2007.
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