lundi 18 février 2008

le 19 mars Conférence d'Alexandre Castant à propos de Planètes sonores.

Conférence d'Alexandre Castant à propos du livre Planètes sonores, radiophonie, arts, cinéma, aux éditions Monografik.
Alexandre Castant est enseignant-chercheur à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Bourges où il enseigne l'esthétique et l'histoire des arts.


La conférence aura lieu le 19 mars à partir de 21h30 sur l'espace second life du collectif Pierre Bourdieu un hommage.

Texte d'Alexandre Castant ("entre
bibliographie et méthodologie, qui interroge la notion de transversalité
sémiotique").

Images, sons, images, textes : Passages des signes

Passages des signes ? De l’image au son, mais aussi de

l’image au texte, des passages donc, des mouvements, des

circulations de signes, de l’image fixe au mouvement, des

matériaux. Or, telle traversée pour approcher une

esthétique des passages entre les arts, les médiums, les

pratiques, si elle offre un luxueux panorama des arts

contemporains, elle pose aussi, et presque surtout, la

question de la méthode. Comment, en effet, rechercher le

discours et les outils critiques qui mettent en lumière ces

croisements, leur correspondance, leur communication ?



Panoramique
C’est en 1766 que le critique et dramaturge allemand

Gotthold Ephraïm Lessing écrit Du Laocoon, ou des

frontières de la peinture et de la poésie. Il y remarque,

notamment, les variables de la description et distingue la

ligne qui partage peinture et poésie en précisant les

qualités de l’une et de l’autre. Il concède à la poésie la

durée et, à la peinture, l’instant et l’espace où elle est

formulée. Comme l’étudie Rensselaer W. Lee dans Ut

pictura poesis, Humanisme et Théorie de la Peinture,

XVe-XVIIIe siècles, la rupture que le Laocoon de Lessing

institue est essentielle dans la mesure où l’acception

préalable des modes de fonctionnement, entre la

peinture et la poésie, se fonde à la Renaissance sur une

analogie et une similitude de procédure puisant, dans la

Poétique d’Aristote et dans l’Art poétique d’Horace, leur

théorie, qui semble parfois forcée, comme leur légitimité.

Contribuant dès lors à miner le principe d’un art dévolu

à l’imitation, ce texte expose les signes avant-coureurs

d’une interrogation sur la spécificité des médiums que la

modernité, puis la contemporanéité, n’auront de cesse

d’explorer. En creux, il recèle également le symbole

historique et esthétique du dialogue que les arts

entretiennent entre eux. Parmi les auteurs qui en ont

débattu : au XVIIIe siècle, Diderot met en relation les sens

de la vue et du toucher, puis, dès le début du XIXe siècle,

Jean-Paul et Gœthe interrogent les correspondances dont

le romantisme saura perpétuer la tradition, puis le

symbolisme, avec l’emblématique duc des Esseintes de

Joris-Karl Huysmans dans À Rebours. Au XXe siècle, des

peintres tel Kandinsky continuent à explorer la secrète

harmonie des formes tandis qu’en 1947 Étienne Souriau

propose des éléments d’esthétique comparée dans La

Correspondance des arts. Quant au projet des

correspondances, il reste associé à Charles Baudelaire

depuis le sonnet ainsi intitulé où « Les parfums, les

couleurs et les sons se répondent ». Si Claude Pichois

distingue la verticalité mystique des correspondances de

la réversibilité horizontale des synesthésies qui font

« communiquer les sens entre eux », il convient de

remarquer que, dans l’esthétique baudelairienne, une

écriture des contraires et sa tradition se jouent. De

Thomas de Quincey à Yeats ou à James Joyce selon la

lecture que Umberto Eco livre de Finnegan’s Wake dans

L’Œuvre ouverte, les analogies se révèlent dans les

antagonismes. Cette transgression d’ordres sensoriels,

structurellement différents, organisant parfois un monde

absolu : « [L]e critique musical Lionello Levi, écrit dans

Arcimboldo le merveilleux le poète et écrivain André

Pieyre de Mandiargues, juge que la tentative

d’Arcimboldo était d’associer les nombres optiques et les

nombres sonores suivant les idées pythagoriciennes qui

revenaient en faveur parmi les théoriciens de

l’acoustique comme chez tous les chercheurs de

l’humanisme nouveau. Et même s’il ne s’agissait que

d’une notation ou d’une inscription visuelle du registre

auditif, s’il n’y avait là qu’une mise en œuvre concrète

des correspondances entre les couleurs et les sons où

Baudelaire, bien plus tard, allait trouver inspiration,

comment n’y serions-nous pas extrêmement

sensibles ? ». Enfin, les travaux entre esthétique et

politique de Walter Benjamin, cet « homme frontière » —

selon la formule de Jacques Derrida dans La Vérité en

peinture —et, différemment, un ouvrage comme

Langages de l’art de Nelson Goodman ont définitivement

inscrit le vingtième siècle dans une esthétique des

passages entre les arts — à l’instar des rencontres entre

l’image et le son, ou l’image et le texte — dont le

troisième millénaire, bien-sûr, fait aussi son miel.

Image, son
Ainsi, explorer la présence du son dans le champ des

arts plastiques s'inscrit, d'abord, dans un projet de

recherche étudiant deux médiums différents : le son et

l'image sont décloisonnés et mis en dialogue. Or,

déterminer les enjeux méthodologiques d'un tel projet

(son corpus et son approche théorique) recouvre un sujet

à part entière. Ensuite, la définition est posée : qu'est-ce

que le son dans une relation à l'image, au visible, aux arts

plastiques ? Les correspondances — soit l'analogie des

arts entre eux — délivrent donc une approche que

l'histoire de l'art et l'esthétique ont souvent renouvelée.

Les écrits sur l’art contribuent à la définition, selon

l'expression de Victor Segalen, de ce « monde sonore ».

De Luigi Russolo à Pierre Schaeffer et Abraham Moles, de

John Cage à Jean-Yves Bosseur et Michel Chion, le son

apparaît comme un matériau hétérogène, silence ou

bruit, expression du chaos ou d'un langage structuré,

possiblement signifiant et reproductible, approché dans

cette fluidité même, cette immatérialité, cette ouverture.

Dans Logique du sens, Gilles Deleuze disait de la voix

qu'elle a cessé d'être un bruit sans être encore un

langage. C'est dans cet espace intermédiaire où le son

s'inscrit en relation avec l'image, les arts plastiques, le

visible, que résident les passages des signes.

Puis, un mouvement transversal renvoie à l’iconicité :

comment appréhender l'image à travers la pluralité de

médium qui la produit ? comment approcher sa

polysémie : rhétorique, imaginaire et œuvre d'art ? Peut-

on considérer que d’autres médiums la nourrissent dans

ses marges ? nous voilà au seuil d’un autre passage, du

texte et de l’image, cette fois.

Image,texte
N’y aurait-il pas une modernité littéraire que

composent des écrivains, ou certaines œuvres, que le

visible fascine. Un Coup de dés de Stéphane Mallarmé,

Locus Solus de Raymond Roussel, un passage d'Ulysse de

James Joyce, l'imaginaire de Vladimir Nabokov ou les

combinatoires photographiques d'Italo Calvino,

organisent une autre histoire moderne de la littérature à

travers l'image dans les mots. De plus, l'invention de

nouvelles procédures techniques (la photographie, la

télévision, le cinéma, les nouvelles technologies)

n'interfère-t-elle pas sur ces créations d'images verbales

en procédant, silencieusement mais fondamentalement, à

une nouvelle perception du monde ? C'est à une

archéologie de l'image dans les mots, à l'aune des

techniques visuelles modernes et contemporaines, et, en

même temps, à une étude de l'iconicité de la langue que

s'attacherait cette autre entrée dans le monde des

passages. Les modalités de la photographie, qui ont

profondément bouleversé le regard des écrivains qui

furent contemporains de son invention, et, par

conséquent, leur poétique de l'image, ont ainsi ouvert,

dans un futur qui nous appartient aujourd’hui, d'autres

rencontres entre l'écriture et la visualité.

Après l’esthétique du son et de l’image et du langage,

à la lumière de l’expérience concrète de ces recherches,

l’esthétique des passages se profilerait,

entre les lignes, entre les signes. Il s’agit alors d’alimenter le débat sur la

distinction des médiums, ou sur l'utopie classique de la

complémentarité des arts, ou encore sur les nouvelles

modalités d’expériences qu’ils mettent en commun. Mais

aussi, dans un monde ouvert où la notion de circulation

demeure essentielle, d’expérimenter la part symbolique

et anthropologique de l’histoire des passages entre les

signes.

Alexandre CASTANT
alexandre.castant@wanadoo.fr

Alexandre Castant est professeur à l’École nationale

supérieure d’art de Bourges où il enseigne l’esthétique et

l’histoire des arts contemporains. Essayiste, il étudie les

relations esthétiques et poétiques entre les arts, et, dans

cette perspective, a notamment publié Esthétique de

l’image, fictions d’André Pieyre de Mandiargues,

Publications de la Sorbonne, « Esthétique », Paris, 2001 ;

La Photographie dans l’œil des passages, L’Harmattan,

« L’Art en bref », Paris, 2004, et en 2007, Planètes

sonores (radiophonie, arts, cinéma), aux éditions

Monografik, coll. « Écrits », Blou, 2007.

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